transitioncitoyennesemnoz.org

Énergie citoyenne ou renouvelable centralisée : deux chemins pour la transition énergétique

26 juillet 2025

L’énergie, au cœur d’un choix de société

De la force discrète du vent sur le plateau du Semnoz aux rayons du soleil effleurant nos toits, l’énergie fait battre le pouls de nos territoires. Elle marque nos paysages, irrigue nos usages quotidiens, nourrit nos imaginaires parfois. À l’heure où la transition énergétique s’impose pour limiter notre impact sur le climat, la question n’est plus seulement de savoir comment produire de l’énergie renouvelable, mais par qui et pour qui.

Deux voies principales cohabitent aujourd’hui : l’énergie renouvelable centralisée, portée par de grands acteurs, souvent invisibles au quotidien, et l’énergie citoyenne, construite par et pour les habitants, à l’échelle de nos vallées ou de nos quartiers. Leur opposition n’est pas systématique, leurs complémentarités sont à explorer. Comprendre leurs différences, c’est saisir les leviers pour une transition plus juste, partagée, ancrée localement.

Renouvelable centralisée : le poids des grands acteurs

Un modèle hérité, réinventé

Le modèle centralisé est un héritier direct de l’organisation traditionnelle des systèmes énergétiques : de grandes installations – barrages hydrauliques, parcs éoliens industriels, centrales solaires au sol – reliées à un vaste réseau, alimentant millions de foyers. EDF, Engie, TotalEnergies ou encore Neoen en sont les figures emblématiques en France (RTE).

Ce schéma présente certains avantages :

  • Économies d’échelle : une production massive qui abaisse les coûts au mégawattheure, facilitant la compétitivité sur les marchés européens.
  • Efficacité technique et gestion centralisée : une meilleure optimisation des réseaux, une gestion de l’intermittence plus simple à grande échelle.
  • Rapidité de déploiement : des capacités financières et techniques permettant de construire rapidement de grands projets, adaptés aux objectifs climatiques à court terme.

Mais des limites pour les territoires

  • Peu d’ancrage local : Les projets sont souvent conçus à distance des habitants, suscitant incompréhensions ou oppositions (cf. débats nationaux sur l’éolien terrestre).
  • Retombées économiques limitées : La majorité des profits repartent aux actionnaires ou sièges lointains ; seulement une partie minime des recettes fiscales revient aux collectivités locales (ADEME, 2022).
  • Difficulté à mobiliser la participation citoyenne : Le sentiment d’exclusion génère un déficit d’acceptabilité sociale (Le Monde, 2023).
  • Uniformisation des paysages : Des choix techniques déconnectés de la réalité territoriale peuvent entraîner une perte de spécificité locale et des conflits d’usages avec d’autres activités (agriculture, tourisme, etc.).

Énergie citoyenne : l’autonomie en partage

Qu’est-ce que l’énergie citoyenne ?

L’énergie citoyenne est produite par des collectifs locaux (coopératives, associations, collectivités, groupes d’habitants) qui conçoivent, financent et gèrent ensemble des installations renouvelables. En France, la dynamique a pris son essor ces dix dernières années, portée entre autres par le mouvement Énergie Partagée qui recensait début 2024 plus de 380 installations citoyennes d’énergie renouvelable pour une puissance cumulée d’environ 500 MW (Energie Partagée).

Concrètement, il peut s’agir de :

  • Toitures solaires sur des écoles, fermes, bâtiments publics ou associatifs
  • Petites centrales hydroélectriques « ressuscitées » par des collectifs locaux
  • Parcs éoliens initiés et financés par des groupes d’habitants
  • Réseaux de chaleur alimentés par la biomasse locale et gérés en régie citoyenne

Les atouts d’un modèle terrien

  • Implication locale : Les projets sont pensés pour et par le territoire, ce qui favorise l’acceptation sociale et le dialogue avec les parties prenantes.
  • Retombées économiques locales : Jusqu’à 50 à 60 % des retombées économiques peuvent rester dans le territoire au lieu de 10 à 20 % dans un modèle classique (Energie Partagée, 2023).
  • Participation démocratique : Les citoyens, collectivités et entreprises peuvent devenir co-propriétaires, investir, voter sur les orientations, partager les dividendes et l’information.
  • Éducation, sensibilisation et cohésion sociale : Ces projets deviennent souvent supports d’éducation à la transition et créateurs de lien entre habitants.

Limites et défis à relever

  • Fracture de l’accès au financement bancaire et lourdeur administrative pour les petits acteurs.
  • Puissance installée souvent modeste (1 à 5 MW par projet, soit 10 à 20 fois plus faible que les grands parcs industriels).
  • Dépendance à une mobilisation locale soutenue et à la maturité de l’ingénierie citoyenne.

Quels impacts sur la transition énergétique et nos vies ?

Des chiffres qui éclairent

  • Objectifs nationaux : Le gouvernement vise 100 GW de photovoltaïque et 40 GW d’éolien en 2050 en France (Ministère de la Transition écologique).
  • Place de l’énergie citoyenne : Malgré une croissance forte, elle ne représente encore qu’environ 2 % du parc renouvelable français en 2023 (Le Passage), alors que les références européennes (Allemagne, Danemark) lui accordent déjà autour de 40 % de la capacité totale (source : EurObserv’ER, 2023).
  • Acceptabilité sociale : Selon le baromètre officiel de l’Ademe (2022), les projets à gouvernance locale bénéficient de 30 à 50 % d’acceptabilité supplémentaire par rapport aux projets centralisés à taille équivalente.

Effets concrets

  • Dynamique d’innovation : Les projets citoyens expérimentent des modèles sobres et hybrides (autoconsommation partagée, mutualisation de toiture, smart grids locaux).
  • Justice sociale : Certains collectifs réservent une partie de la production à des foyers en précarité énergétique à prix coûtant (Ferme de la Ruche, Bretagne).
  • Lien au territoire : Les élus peuvent s’impliquer, les agriculteurs deviennent producteurs d’électricité, les écoles se transforment en relais de sensibilisation à l’énergie.

Regards croisés : centralisé et citoyen, opposition ou complémentarité ?

Vers un « mix » énergétique pluriel

Il serait vain de chercher à opposer systématiquement ces modèles : chacun couvre des besoins et des contextes spécifiques. Les grands projets centralisés porteront logiquement le « gros » de l’effort quantitatif pour atteindre nos engagements, mais leur acceptabilité, leur intégration fine et la redistribution de la valeur dépendent chaque jour davantage d’un ancrage territorial.

Pendant ce temps, l’énergie citoyenne s’ancre comme catalyseur :

  • De sobriété (car produite là où elle est consommée, elle incite à l’usage raisonné),
  • D’innovation sociale,
  • Et d’appropriation locale de sujets complexes souvent laissés à quelques experts.

Des exemples inspirants

  • En Pays de Savoie, la SCIC « Les Centrales Villageoises des Aravis » réunit collectivités, habitants, artisans et entrepreneurs pour équiper écoles et bâtiments communaux, avec 900 kWc de solaire posés entre 2018 et 2023 (Centrales Villageoises).
  • Le parc éolien citoyen du Mené, en Bretagne, offre depuis plus de dix ans un modèle de financement et de gouvernance locale intégrant riverains, agriculteurs et petites communes pour 12 MW de puissance (Le Monde, 2022).

Ces réussites démontrent qu’un dialogue fertile entre les deux modèles est possible, pour peu que la puissance publique s’en saisisse, que les habitants soient partie prenante des choix et que les blocages administratifs ou juridiques soient levés en faveur d’initiatives collectives.

Énergie citoyenne : une invitation à reprendre la main

Au fond, le vrai clivage entre renouvelable centralisée et énergie citoyenne ne se situe pas seulement dans la configuration du réseau ou la taille des installations. Il réside dans notre capacité collective à nous réapproprier l’énergie, à décider du sens que nous donnons à la transition, à partager les bénéfices et à réduire notre dépendance aux logiques de marché pur.

La multiplication des projets citoyens marque le retour du territoire comme acteur à part entière, et non plus simple décor des infrastructures énergétiques. C’est là une brèche ouverte vers des formes de résilience, de solidarité, et d’innovation qui tissent une transition énergétique plus inclusive et plus radieuse.

Rejoindre, soutenir ou faire germer de telles dynamiques, c’est choisir de ne pas laisser la transition se faire sans nous. Et si, demain, nous faisions du Semnoz un laboratoire vivant de cette aventure partagée ?

Pour aller plus loin

En savoir plus à ce sujet :