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Derrière les kilowatts : Plongée dans la vie d’une coopérative citoyenne d’énergie

23 juin 2025

Comprendre les coopératives citoyennes d’énergie renouvelable

Au détour d’une colline du Semnoz ou sur les toits d’un village voisin, il n’est pas rare de voir surgir une installation solaire ou une petite éolienne. Mais bien souvent, ce ne sont plus les grandes entreprises ou acteurs industriels qui en sont à l’origine. Depuis une dizaine d’années en France, la transition énergétique s’enracine aussi dans la mobilisation citoyenne grâce à un modèle silencieux et tenace : la coopérative citoyenne d’énergie renouvelable.

Mais comment fonctionne vraiment cette mécanique collective ? Par quelle magie l’énergie solaire ou éolienne, produite sur nos territoires, peut-elle devenir une affaire de citoyennes et de citoyens ? Explorons en profondeur ces structures parfois discrètes mais puissamment transformatrices, de la prise de décision à l’impact local.

Naissance et essor des coopératives : une réponse locale à un enjeu mondial

C’est dans les années 1980, au Danemark, que l’on trouve les balbutiements du modèle. Face au choc pétrolier, paysans et riverains se réunissent pour financer collectivement des éoliennes. L’idée : faire de la production d’énergie un bien commun, décider localement, et impliquer concrètement les habitants. Le modèle inspirera d’autres pays, jusqu’à s’implanter solidement en Allemagne à partir des années 1990 (source : Rescoop.eu).

En France, le mouvement prend son essor dans les années 2010, stimulé par des lois d’ouverture du marché (comme la loi Transition énergétique de 2015) et la prise de conscience climatique. À fin 2023, on dénombrait plus de 320 sociétés citoyennes d’énergie, regroupant quelque 20 000 sociétaires et près de 790 installations sur le territoire (source : Énergie Partagée).

  • En Rhône-Alpes, plusieurs projets collectifs ont vu le jour : Centrales Villageoises, les Toits du Lac, ou encore Luciole à Lyon.
  • Le modèle s’étend désormais à l’éolien, au photovoltaïque, au bois-énergie, à la méthanisation, voire à la petite hydraulique.

Mécanique coopérative : comment fonctionne une société d’énergie citoyenne ?

Au cœur de la démarche, l’idée est simple : rassembler des femmes et des hommes qui souhaitent s’impliquer concrètement dans la transition énergétique sur leur territoire. L’outil privilégié — la société coopérative — s’organise sur des principes démocratiques et ouverts, selon le schéma « une personne = une voix ».

Mais quels sont les rouages d’une telle structure ? Petite plongée dans le fonctionnement.

1. Constitution et gouvernance démocratique

  • Des sociétaires locaux : collectivités, citoyens, associations ou entreprises locales deviennent sociétaires en souscrivant une ou plusieurs parts sociales, d’un montant souvent situé entre 50 et 100 € pièce.
  • Une assemblée générale souveraine : chaque sociétaire, quelle que soit sa contribution financière, détient une voix. Les grandes orientations (investissements, choix des sites, tarifs, partenariats) sont soumises au vote de tous.
  • Un conseil d’administration élu: il pilote la gestion quotidienne, met en œuvre les décisions collectives et veille à la transparence des actions (comptes rendus publics, réunions ouvertes, etc.).

2. Financement participatif et circuits courts de l’argent

  • Apport initial citoyen : le capital accumulé par la vente des parts sert d’apport pour obtenir des financements extérieurs (banques, fonds régionaux, appels à projets).
  • Levée de fonds complémentaire : parfois, une campagne de financement participatif en ligne vient compléter le tour de table. On estime que pour certains grands projets photovoltaïques, plus de 20% des fonds sont directement issus des habitants (Énergie Partagée).
  • L’argent circule localement : les revenus générés par la vente de l’énergie (en général à un fournisseur ou en autoconsommation collective) sont réinvestis dans de nouveaux projets, de l’éducation ou des actions environnementales locales.

3. Production, vente et partage de la valeur

  • Identification du site : toiture d’école, hangar communal, terrains publiques… Les sites d’implantation sont proposés et validés lors d’ateliers collaboratifs.
  • Installation et suivi : la coopérative coordonne les études techniques avec des PME locales, supervise la pose et s’assure du suivi sur la durée (production, entretien, recyclage).
  • Distribution de la valeur créée :
    • Petite partie en dividende (souvent symbolique, moins de 2 % par an, la loi imposant un plafond aux sociétés coopératives).
    • Grosse part réinvestie dans la création de nouveaux sites ou dans la sensibilisation (animations scolaires, conférences, etc.).
    • Sur certains territoires, une aide directe à la lutte contre la précarité énergétique.

Apports concrets d’un modèle citoyen : le pouvoir de la proximité

Pourquoi un tel foisonnement de projets locaux, quand EDF ou Engie investissent déjà massivement dans le renouvelable ? La réponse est souvent politique — au sens premier du terme. Reprendre collectivement la main sur des choix de production et d’usage de l’énergie, c’est déjà questionner notre modèle de société.

Des chiffres qui témoignent

  • En 2023, les coopératives citoyennes françaises ont injecté plus de 245 GWh d’électricité renouvelable sur le réseau (source : Énergie Partagée), soit l’équivalent de la consommation annuelle de 100 000 foyers français.
  • 75 % des projets incluent des actions d’éducation à l’énergie, ou de sensibilisation à la maîtrise des consommations (ADEME, juin 2023).
  • Au Danemark, près de 40 % de la capacité éolienne terrestre appartient à des coopératives citoyennes ou à des collectivités locales (Wind Denmark).

Au-delà du kWh : des effets collectifs

  • Renforcement du lien social : chaque AG, chaque chantier participatif crée de nouvelles solidarités. Sur le plateau du Vercors, la première installation photovoltaïque de la coopérative « Énergie Citoyenne » s’est achevée… par un grand pique-nique ! (témoignage relevé sur le site Énergie-Partagée).
  • Insertion économique locale : 69 % des marchés de travaux reviennent à des entreprises régionales (statistique de l’Association des Centrales Villageoises Rhône-Alpes, 2022).
  • Émancipation collective : formation des habitants à la compréhension du marché énergétique, création de groupes de veille citoyenne sur l’eau, le bois, la préservation des sols.

Focus local : autour du Semnoz, des initiatives qui inspirent

Notre territoire n’est pas en reste. À Annecy et ses alentours, un vent coopératif souffle discrètement mais surement. Plusieurs groupes actifs y développent ou ont lancé leur propre structure.

  • Les Toits du Lac : depuis 2020, cette coopérative citoyenne, composée d’une centaine de sociétaires, a équipé cinq bâtiments publics en toitures solaires, produisant déjà l’équivalent de la consommation de 70 foyers. En quelques mois, plus de 150 habitants ont investi entre 100 et 1 500 € (source : site Les Toits du Lac).
  • Citoy’ENR, sur le bassin annécien, œuvre pour le développement de micro-centrales photovoltaïques en partenariat avec des entreprises d’insertion.
  • La structure « Soleil & Cîmes » réunit des particuliers, associations et collectivités autour de toitures partagées sur des collèges et maisons de quartier.

Des témoignages recueillis lors des réunions publiques montrent aussi que bien des habitants, initialement sceptiques, témoignent d’une fierté inédite à « voir leur argent travailler sur place ».

Quels sont les défis des coopératives citoyennes d’énergie renouvelable ?

Si l’enthousiasme autour de ces dynamiques est palpable, tout n’est pas simple pour autant. Les coopératives, même épaulées par des réseaux comme Énergie Partagée ou le mouvement des Centrales Villageoises, font face à des obstacles bien concrets.

  • L’accès aux toitures : la difficulté à trouver des partenaires publics ou privés mettant à disposition des surfaces nécessaires représente un frein récurrent.
  • La lourdeur administrative : déclarations, raccordements, démarches juridiques, tout est plus complexe pour une structure citoyenne que pour un opérateur national.
  • La viabilité économique : avec la baisse du tarif d’achat du photovoltaïque et l’augmentation des coûts de matériel, il est plus difficile aujourd’hui pour les petites structures de maintenir l’équilibre.
  • L’essoufflement bénévole : la mobilisation repose souvent sur une poignée de personnes très impliquées. Le renouvellement des forces vives est un enjeu majeur pour la pérennité.
  • La question de l’autoconsommation collective : bien que la réglementation évolue, le cadre reste contraignant dès lors qu’il s’agit de distribuer directement l’électricité produite à plusieurs ménages d’un même quartier.

Comment participer ? Modes d’engagement, étapes concrètes

Pour celles et ceux qui souhaitent s’engager, les chemins sont multiples :

  1. Rejoindre un projet existant: la plupart des coopératives accueillent chaque année de nouveaux sociétaires. Un investissement à partir de 50 € donne une voix à l’Assemblée Générale et l’accès aux décisions stratégiques.
  2. Lancer une action locale: constituer un groupe d’échange, repérer des bâtiments publics ou privés sous-utilisés, puis solliciter l’aide des réseaux régionaux (Énergie Partagée, Centrales Villageoises, Enercoop, etc.).
  3. Sensibiliser autour de soi: organiser un Café Énergie, relayer une campagne de financement ou proposer une visite de site.
  4. S’impliquer dans la gestion quotidienne: aider à la communication, à la gestion des comptes, à la logistique… chaque compétence peut servir, et c’est une excellente occasion d’apprendre, même pour les néophytes.

Oser la transition en commun : et demain ?

La transition énergétique n’est pas qu’une affaire d’équipements ; elle est surtout une aventure humaine. Les coopératives citoyennes, loin d’être de simples fournisseurs alternatifs, dessinent des territoires où s’expérimente un nouveau « nous » : moins dépendants des logiques de marché, plus attentifs à la sobriété, plus réactifs aux défis locaux.

Au fil de projets partagés, des liens se tissent, une autonomie se construit, et une fierté nouvelle s’établit sur la gestion collective du bien commun énergétique.

Pour en savoir plus ou rejoindre une dynamique, de nombreux réseaux existent : Énergie Partagée, Centrales Villageoises, Rescoop, ou plus localement sur la page « Initiatives » de Semnoz en Transition Citoyenne.

Chaque part, chaque voix, chaque rencontre fait avancer un peu plus la transition, au creux de nos montagnes comme partout ailleurs.

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