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Le solaire peut-il vraiment s’enraciner sans ombre ? Regards croisés sur les effets locaux

14 juillet 2025

Photovoltaïque : le déploiement s’accélère, les questions aussi

La puissance photovoltaïque installée en France a bondi de 15 % en 2023, pour atteindre 20 GW (chiffres RTE), alors qu’elle était à peine de 1,1 GW en 2010. En Haute-Savoie, de nombreux villages voient fleurir des projets, parfois sur d’anciennes friches, parfois sur des terres agricoles ou forestières. Le massif du Semnoz n’y échappe pas, entre microcentrales villageoises et installations individuelles.

Mais derrière ce développement rapide, il n’est plus possible d’éluder les impacts sur l’environnement local. Les effets varient du tout au tout suivant l’implantation : toiture ou pleine terre, taille, ancien usage du sol, et intégration dans le paysage ou les écosystèmes. Pour une lecture fine, disséquons ces impacts dans la durée.

Biodiversité : moins neutre qu’il n’y paraît

On pourrait croire que le solaire est synonyme de « zéro impact », contraste saisissant avec l’éolien ou l’hydroélectricité. Pourtant, plusieurs études de l’INRAE, de l’ADEME ou de France Nature Environnement montrent que l’empreinte écologique n’est pas nulle, surtout en pleine terre.

  • Perte de surfaces naturelles ou agricoles : chaque hectare couvert de panneaux photovoltaïques en prairie ou en friche, c’est une surface où la pratique agricole est bouleversée, voire stoppée. En 2021, selon la Fédération nationale des agriculteurs biologiques (FNAB), plus de 5 % des projets en France consommaient une terre encore cultivée ou pâturée.
  • Fragmentation des habitats : comme toute infrastructure, un parc solaire, c’est un maillage de pistes, clôtures, fondations. Pour la petite faune (lézards, hérissons, rongeurs…), les espaces se fragmentent. En Camargue, une étude du CNRS a montré une baisse de 30 % de l’abondance de reptiles sur de grandes centrales solaires installées sur d’anciens milieux ouverts.
  • Modifications microclimatiques et floristiques : les panneaux génèrent des zones d’ombre et conservent l’humidité du sol. Il s’ensuit une évolution de la flore. Parfois, l’herbe repousse différemment, la diversité florale évolue, et certaines espèces d’insectes ou d’oiseaux nicheurs (comme la linotte mélodieuse) désertent.
  • Coupures pour les migrations et couloirs écologiques : certaines installations sur de vastes surfaces coupent des trames vertes, chemins utilisés par la faune pour se déplacer à l’échelle du paysage. L’enjeu est donc fort dans des zones de bocage ou de montagne, comme autour d’Annecy.

Des pratiques vertueuses émergent

Des alternatives existent : l’agrivoltaïsme (mélange culture/panneaux en surélévation) permet dans certains cas le maintien du pâturage ou de la culture maraîchère. Mais ces projets sont encore l’exception et demandent un suivi rigoureux.

Paysage, identité et acceptabilité sociale : la beauté sauvera-t-elle le solaire ?

Le Semnoz, comme le Grand-Bornand, attire par ses paysages, mosaïque de prairies, forêts, et villages typiques. Toute modification du relief, de la lumière ou de la trame rurale y est donc scrutée. Le Conseil National de la Protection de la Nature (CNPN) a alerté dès 2019 sur le « risque de mitage » par de grandes centrales. Les panneaux sur toitures, intégrés aux bâtiments existants, provoquent moins de débats. En revanche, la pose en plein champ, surtout sur socle béton, transforme l’horizon.

  • Effet d’éblouissement/miroir : peu gênant la plupart du temps, mais source d’incidents signalés par des voisins ou sur les axes routiers proches, surtout par beau temps.
  • Pertes de repères paysagers : sur certaines communes du Sud-Est, les riverains témoignent d’une difficulté à « reconnaître » leur lieu de vie après la mise en place de vastes champs photovoltaïques (source : enquête ADEME || Paysage et Energie 2021).
  • Valorisation du patrimoine : les élus locaux cherchent de plus en plus à imposer une intégration architecturale. Utilisation de bardages naturels, panneaux solaires imitation ardoise ou tuile, hauteur limitée : ces mesures apaisent, mais augmentent les coûts.

L’art de la concertation

Quand les projets sont co-construits avec la population, acceptabilité et créativité font souvent bon ménage. Ainsi, à Menthon-Saint-Bernard, l’installation solaire citoyenne sur l’école du village s’est accompagnée d’ateliers pédagogiques et d’un vote collectif sur l’emplacement, favorisant l’appropriation sociale du projet.

Matériaux, fabrication et recyclage : des zones à surveiller de près

La question du « vert » ne se limite pas à l’énergie produite, mais commence dès la fabrication :

  • Énergie grise : la fabrication d’un panneau photovoltaïque standard (silicium cristallin) nécessite près de 120 kWh par mètre carré (source : International Energy Agency – IEA PVPS, 2022). Une installation en Haute-Savoie compense cette énergie « investie » en 2 à 3 ans d’exploitation.
  • Consommation de ressources : les modules utilisent du cuivre, de l’aluminium, et du verre, mais aussi parfois de l’argent ou du cadmium (panels couches minces). Ces matériaux peuvent générer une pression locale sur les zones minières à l’échelle mondiale.
  • Fin de vie et recyclage : En France, le taux de recyclage des panneaux atteint 94% pour le verre et 97% pour l’aluminium selon PV CYCLE (2023), mais seulement 85% pour la totalité du module. La filière reste à renforcer : la majeure partie du silicium n’est pas encore recyclée pour refaire des panneaux.

Eau, sol et microclimat : des interactions à ne pas négliger

  • Ressource en eau : les panneaux n’ont pas besoin d’eau pour fonctionner, mais leur nettoyage peut mobiliser localement d’importants volumes, surtout en contexte agricole ou poussiéreux. Sécheresse aidant, la question monte dans le Beaujolais ou dans la Drôme (source : La Dépêche, 2023).
  • Sol et ruissellement : en forte pente, la pose de panneaux sur plots peut amplifier l’érosion, le ruissellement ou, à l’inverse, créer des zones ombrées protectrices lors des canicules. Le choix des techniques d’implantation est ici crucial !
  • Effet microclimatique : de petites hausses de température (jusqu’à 3 °C localement sous certains parcs) ont été observées dans les zones densément équipées, ce qui peut modifier localement la dynamique d’insectes, ou accélérer la décomposition de la litière forestière (source : étude de l’Université d’Arizona, 2019, transposable par analogie ; travaux à confirmer en climat alpin).

Retombées économiques pour les territoires ruraux

Pour les collectivités et les agriculteurs, les centrales solaires sont aussi une question de revenu. Une centrale de 1 MW (environ 5 000 m²) peut générer près de 6 000 € par an de taxe foncière additionnelle pour une commune (source : Syndicat des Énergies Renouvelables).

Toutefois :

  • La propriété foncière et le montage du projet déterminent qui bénéficie réellement des « retombées ». Pour l’instant, beaucoup de grands projets sont portés par des sociétés extérieures ; la part locale varie fortement.
  • Certains territoires ont choisi la voie du coopératif : comme les Centrales Villageoises du Val d’Arly, qui redistribuent les bénéfices à la commune et réinvestissent dans la rénovation énergétique.
  • Le monde agricole s’inquiète : l’agrivoltaïsme, s’il est mal encadré, peut conduire à la « solarisation » des exploitations aux dépens de la production alimentaire ou de l’élevage, avec un risque de spéculation sur les terres.

De la sobriété à l’innovation : quelles pistes locales pour un solaire vraiment vert ?

  • Pleinement intégrer la biodiversité : favoriser la prairie fleurie sous panneaux, installer abris pour la petite faune, maintenir ou créer des corridors écologiques lors du choix du site.
  • Privilégier les toitures et zones anthropisées : priorité aux toits d’entrepôts, parkings, routes couvertes. Depuis 2024, toute nouvelle grande surface commerciale doit intégrer le solaire (loi européenne sur la performance énergétique des bâtiments).
  • Associer la population, choisir la transparence : organiser des concertations publiques en amont, garantir un contrôle citoyen sur le choix des sites, la gouvernance et le suivi écologique.
  • Expérimenter de nouveaux modèles : agrivoltaïsme « à la française » (clôtures mobiles, panneaux rotatifs), modules bifaciaux pour limiter l’emprise au sol, repowering (remplacement de vieux panneaux par des modèles plus efficaces).
  • Renforcer la filière du réemploi et du recyclage : en France, le projet de la première usine de recyclage intégral (ROSI Solar, Isère) prévoit de doubler la capacité nationale de retraitement d’ici 2025 (source : Le Monde, 2023).

Pour regarder le soleil sans se brûler

Les installations solaires ne sont ni anges ni démons. Elles font, comme chaque avancée technique, partie d’un compromis mouvant entre écologie, besoins humains et équilibre du territoire. Veiller à l’intégration paysagère, être sévère sur l’emprise au sol, associer les habitants et penser aux générations suivantes : voilà les leviers d’une transition solaire ni naïve, ni désenchantée. Dans les Alpes, sous les cimes du Semnoz ou ailleurs, c’est à nous d’inventer des formes de déploiement qui rendent au soleil ce qu’il nous offre : clarté, chaleur, et partage.

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