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Cheminer en montagne : repenser la marche pour tous, ici et ailleurs

15 août 2025

Décoder les freins : comprendre les obstacles au quotidien

Avant d’imaginer des solutions, il faut écouter ce que les habitantes et habitants expriment. En montagne, la morphologie du terrain complique les déplacements à pied : dénivelés marqués, voiries étroites, pentes glissantes, absence de trottoirs, parfois une signalisation minime voire inexistante. D’après l’Observatoire des mobilités actives (2022), en zone rurale et périurbaine, plus de 70 % des déplacements de moins de 2 km se font encore en voiture, et la proportion grimpe dans les territoires accidentés. En Haute-Savoie, le Conseil départemental soulignait en 2021 que 1 accident piéton sur 5 impliquait un véhicule sur route de montagne dépourvue d’infrastructures dédiées (source : Conseil départemental de Haute-Savoie).

  • L’absence de réseaux piétons sécurisés dans les bourgs, entre les hameaux et les écoles, décourage la marche utilitaire.
  • Les conditions hivernales – verglas, neige, brouillard – exigent des infrastructures adaptées.
  • La cohabitation avec la voiture (trafic rapide, manque de visibilité, stationnements anarchiques) accentue le sentiment d’insécurité.

Pourtant, la marche demeure le premier mode de déplacement des habitantes du Semnoz pour les trajets de moins d’1,5 km en été (source : Communauté d’agglomération du Grand Annecy, 2021). Les attentes sont donc là, mais la concordance entre besoins et aménagements se fait souvent désirer.

Aménager pour la sécurité sans dénaturer : entre sentier et mobilité douce

Les montagnards le savent : une simple balise ou un chemin entretenu change tout. Les solutions ne peuvent être “calquées” sur celles de la plaine. Aménager pour la marche, ici, c’est manier la nuance entre préservation paysagère et sécurité des marcheurs.

Des cheminements piétons adaptés aux reliefs

  • Sentiers enherbés et escaliers boisés : Au Semnoz, certains hameaux comme Quintal ou Balmont expérimentent des chemins mixtes alliant marches en bois anti-dérapantes, drainage naturel et revêtement stabilisé (source : Parc naturel régional du Massif des Bauges, 2023). Cela limite l’érosion et facilite l’entretien hivernal.
  • Passages protégés et trottoirs surélevés : Dans le Beaufortain, la commune d’Arêches a réussi à sécuriser la traversée de son chef-lieu avec de fins trottoirs surélevés, marquages lumineux basse consommation (LED solaires), en maintenant l’esprit du village.
  • Traces d’hiver : Installer temporairement des cordes fixes ou rampes discrètes sur les pentes verglacées, comme le fait le village de Menthon-Saint-Bernard l’hiver, rassure aussi bien les aînés que les familles.

Matériaux et intégration paysagère

L’usage de matériaux locaux – bois, pierre, gravier stabilisé – respecte l’esthétique des sites naturels et limite l’artificialisation. Le Parc national des Écrins a d’ailleurs publié une charte d’intégration des cheminements piétons favorisant ces techniques douces (source : Parc national des Écrins, 2022).

Information, signalétique : une montagne lisible et rassurante

Se sentir capable d’aller à pied n’est pas inné ; il faut pouvoir s’orienter, savoir où poser les pieds, et où l’on va. Or, la signalétique en zone de montagne a parfois du retard : panneaux vieillissants, balisage réservé aux randonneurs avertis, cartes inadaptées à la vie quotidienne.

  • Nouvelle génération de panneaux : La Haute-Savoie teste actuellement des panneaux directionnels “double lecture” : 1 face pour la promenade (indiquant la durée réelle jusqu’au village voisin) et 1 pour la randonnée (donnant le niveau de difficulté, la présence d’abris, etc.).
  • Signalisation lumineuse intelligente : Plusieurs cols du Chablais sont équipés de capteurs déclenchant un éclairage ciblé lorsqu’un piéton approche, notamment à la tombée du jour ou par brouillard.
  • Cartographie numérique collaborative : Des applications locales (comme Chamina) permettent aux habitants de signaler des zones dangereuses, d’indiquer des raccourcis praticables ou des bancs pour la pause. En 2022, plus de 300 contributions ont ainsi permis de sécuriser 17 tronçons autour du lac d’Annecy.

Accessibilité et inclusivité : ouvrir la montagne à toutes et tous

Souvent, la marche en montagne demeure l’apanage des plus sportifs ou des habitués. Pour la rendre vraiment attractive, il faut lever les barrières du quotidien : mobilité réduite, âge, enfants en bas âge, budgets contraints. Quelques initiatives locales ouvrent la voie.

  • Équiper de fauteuils tout-terrain : À Montmin, la mairie met à disposition des “joëlettes” (fauteuils monoroues pour personnes à mobilité réduite) en partenariat avec les associations de randonneurs. Ces dispositifs permettent d’accéder à des boucles courtes jusque-là inaccessibles (source : Association Handi Cap Évasion).
  • Abaisser les trottoirs et poser des rampes : Depuis 2020, 40 % des carrefours piétons de Saint-Jorioz ont été adaptés “PMR” (personnes à mobilité réduite), soit 22 points d’accès supplémentaires, selon la mairie (chiffres au 1er janvier 2024).
  • Créer des haltes attractives : Des tables, des points d’eau potable, ou même une boîte à livres en chemin transforment une simple marche en expérience conviviale, et encouragent le “pas lent” familial (exemple à Viuz-la-Chiésaz, projet municipal 2023).

L’enjeu du partage de l’espace : repenser la cohabitation, désamorcer les conflits

L’espace montagnard n’est ni tout à la voiture, ni tout au randonneur. Les conflits d’usage avec les VTT, les voitures ou même les troupeaux sont fréquents. Mais d’autres modèles émergent.

  • Zones de rencontre et limitations ciblées : Cran-Gevrier (Annecy) et le hameau de Leschaux expérimentent des “zones partagées” limitées à 20 km/h où piétons, cyclistes et véhicules cohabitent sur une voirie repensée (matériaux différents, priorité piétonne, mobilier urbain placé stratégiquement). Les retours montrent une baisse de 30 % des accidents mineurs depuis 2021 (source : Grand Annecy Mobilités).
  • Trames vertes sécurisées : Un maillage de sentiers piétons relie les quartiers entre eux, passant par des clairières ou coulées vertes, en évitant les axes routiers très fréquentés – à l’image du “Sentier des enfants” à Seynod, conçu avec les écoles.
  • Temps de la marche partagé avec la vie locale : Des animations régulières (“marches exploratoires” intergénérationnelles, ateliers de sensibilisation à la faune/flore, balades participatives) renforcent la légitimité du piéton dans la culture locale.

Encourager par l’exemple et l’expérimentation : la marche, moteur de lien social

Les aménagements structurent, mais c’est parfois la dynamique collective qui fait basculer les pratiques. Des “programmes marche” sont nés ou se multiplient ici.

  • “Au travail à pied, même en montagne !” : La communauté de communes du Massif des Aravis propose aux salariées de plusieurs entreprises de covoiturer sur une partie du parcours, puis de terminer les derniers 1,5 km à pied sur des sentiers balisés. Près de 18 % des participants ont maintenu cette habitude sur l’année 2023 (source : CCPA – Communauté de communes des Pays des Aravis).
  • L’école qui marche : Plusieurs villages du Semnoz organisent chaque printemps une semaine “Pédibus montagnard” : les enfants cheminent ensemble vers l’école, encadrés par des adultes ou des aînés. À Quintal, le taux de familles adhérant à l’opération a doublé en quatre ans (rapport municipal, 2022).
  • Mises en récit de la marche : Des balades contées, des podcasts locaux (comme celui du collectif Les Passeurs du Semnoz) invitent à changer de regard sur la marche, à la rendre ludique et culturelle.

Adapter la montagne face au changement climatique : des itinéraires pour demain

Face aux canicules, aux épisodes de pluies intenses ou à l’instabilité des sols, rendre la marche attractive suppose aussi d’innover. Le Parc naturel régional du Massif des Bauges investit dans l’ombrage des chemins (replantations de haies, pergolas végétalisées), tandis qu’à La Clusaz, la mairie publie chaque été un bulletin sur les sentiers à éviter en raison des risques de glissement. Les “sentiers climato-résilients”, balisés mais évolutifs, prennent en compte cette incertitude croissante.

Mise en perspective : la marche, levier d’un territoire en mouvement

Du Semnoz aux Bauges, de la vallée du Fier aux rives du lac d’Annecy, les solutions foisonnent, bricolées ou pensées, toujours ancrées dans le réel du relief et des usages. Les citoyens, associations, élus, mais aussi les enfants réinventent, à petits pas ou à grandes enjambées, la mobilité du quotidien. Rendre la marche attractive et sûre en zone de montagne, c’est bien plus qu’une question d’infrastructures : c’est une invitation à habiter autrement la montagne, à la redécouvrir et à la partager. Cheminer, c’est tisser chaque jour des liens résilients entre humains, paysages et histoires – sous les yeux du Semnoz, entre brume matinale et lumière retrouvée.

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