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Quand la pente se dresse : comprendre les obstacles à l'usage quotidien du vélo en Haute-Savoie

3 août 2025

Le relief, entre beauté et défi

Difficile d’évoquer le vélo dans notre territoire sans qu’il soit question de pentes. La Haute-Savoie se distingue par son relief vigoureux, dont la beauté attire randonneurs et cyclistes sportifs… mais décourage souvent le cycliste ordinaire. La topographie explique en partie pourquoi, hors agglomération d’Annecy, la part des déplacements quotidiens effectués à vélo reste si faible : autour de 2% sur la commune nouvelle en 2020 (source : Grand Annecy), contre près de 11% à Grenoble (source : Grenoble-Alpes Métropole).

  • Des côtes impressionnantes : Face à la montée du Semnoz, aux collines du Chablais ou aux rues en pente de Thônes, le trajet-travail à vélo nécessite souvent une bonne condition physique, voire un entraînement.
  • L’électrification, une solution partielle : Le vélo à assistance électrique (VAE) a commencé à ouvrir de nouveaux horizons : on estime qu’en zone de montagnes, plus de 60% des nouveaux vélos sont des VAE (source : ADMA/Savoie Mont Blanc Tourisme 2022). Pourtant, le coût élevé du matériel (entre 2000 et 4000€ pour un produit fiable), la peur du vol, la délicate gestion de l’autonomie ou du poids de ces vélos laissent encore une barrière importante pour nombre d’habitants.

L’effet “dernier kilomètre” est aussi un frein local : les dernières centaines de mètres, souvent raides, découragent même les cyclistes motivés, notamment lorsque l’habitat s’est développé sur les hauteurs.

Un climat exigeant : de la brume aux bourrasques

La poésie des saisons, ici, se conjugue avec des contraintes concrètes : pluies soudaines, brumes lourdes à l’automne, hivers longs, voire étés orageux. En Haute-Savoie, le climat est un passage obligé dans la réflexion sur la mobilité quotidienne.

  • Pluies et neige : Si l’esprit nordique sait, au Danemark ou aux Pays-Bas, affronter les intempéries, en Haute-Savoie, la neige peut rendre les rues difficiles à circuler plusieurs semaines par an, et les pluies abondantes du printemps découragent souvent la pratique. Près de 30 jours de neige par an en moyenne à Annecy, et plus à l’est (source : Météo France).
  • Le froid matinal : De novembre à mars, il n’est pas rare de débuter sa journée sous zéro degré. Cela pose la question de l’équipement, mais aussi de la motivation.
  • Sécurité par temps dégradé : La visibilité réduite, le verglas, l’absence de déneigement prioritaire sur les pistes cyclables aggravent cette appréhension.

Le climat de montagne a ceci de particulier qu’il n’est pas uniquement une affaire de courage individuel, mais souvent d’infrastructures adaptées et de services associés (abris vélos, pistes protégées…). Or, cette dimension reste embryonnaire hors Annecy.

Un réseau cyclable encore fragmenté

Quiconque a tenté de relier Sévrier, Saint-Jorioz, Annecy-le-Vieux en vélo le sait : tout trajet se transforme vite en jeu de pistes. La Haute-Savoie compte des kilomètres de voies “vertes”, mais leur maillage demeure incomplet et inégal.

  • La voie verte du lac d’Annecy reste le fleuron avec près de 40 km d’infrastructures. Pourtant, la majorité des déplacements quotidiens nécessitent de sortir de cet axe, souvent pour affronter des sections dangereuses (ronds-points, voies partagées, absence de pistes en entrée de ville).
  • Connexion entre communes : D’après le dernier baromètre de la Fédération des Usagers de la Bicyclette (FUB, 2023), moins de 35% des habitants du Grand Annecy jugent le réseau cyclable “suffisant”. Des “trous noirs” persistent (vallée de Thônes, Genevois français, hauteurs de Rumilly).
  • Continuité et priorisation : Rares sont les axes cyclables bénéficiant, comme pour la voiture, d’une priorité aux carrefours. Les ruptures d’itinéraires, le manque de signalétique, et la cohabitation parfois tendue avec la circulation automobile renforcent la sensation d’insécurité.

La qualité de l’infrastructure – largeur, revêtement, continuité, éclairage nocturne – conditionne grandement l’essor du vélo comme mode de déplacement principal, plus encore ici qu’ailleurs.

Une culture de la voiture encore dominante

Dans le tissu savoyard, où l’habitat s’est dispersé, la voiture s’est imposée comme réflexe. Résultat : près de 70% des trajets domicile-travail se font encore en voiture sur le Grand Annecy, dont plus d’un quart pour moins de 5 km (données INSEE, 2019).

  • Des habitudes tenaces : L’automobile représente liberté, rapidité, confort. Changer ses réflexes quotidiens, c’est aussi réinterroger son rapport au temps, à l’espace, ses peurs et ses routines.
  • Stationnement vélo sous-équipé : En ville, le manque d’abris sécurisés, à proximité des gares, établissements scolaires et entreprises, est l’un des freins les plus fréquemment cités par les usagers du vélo (source : Baromètre FUB 2023).
  • Représentations sociales : À la différence des modèles citadins où le vélo s’est imposé comme symbole de modernité, en zone rurale ou périurbaine, il est encore trop souvent perçu comme un outil “de loisir”, “d’enfant”, voire “de pauvres”, selon les études de perception menées par le Cerema sur plusieurs territoires alpins.

Changement culturel, transformation des imaginaires : là aussi, le défi est de taille.

Limites institutionnelles et politiques : la transition à petits pas

Les politiques locales évoluent, portées par la pression des habitants, des associations et la conscience croissante des enjeux de transition. Cependant, la structuration des pouvoirs publics et l’investissement dédié au vélo restent en-deçà des besoins.

  • Réseaux éclatés : Les compétences mobilités sont réparties entre communes, EPCI (communautés de communes) et Département, créant parfois des silos, des lenteurs d’action et de la disparité dans les standards d’aménagement.
  • Financements : En 2022, la Ville d’Annecy a consacré environ 7 euros par habitant à la mobilité cyclable (soit 2 fois moins qu’une ville comme Strasbourg ou Rennes, source : Vélocité Magazine), même si la tendance est à la hausse.
  • Concertation et co-construction : Si des démarches participatives existent aujourd’hui (ex : ateliers Plan Vélo du Grand Annecy en 2023), leur influence sur les choix finaux reste parfois limitée ou tardive.

L’arrivée du Plan Vélo national, un nouvel élan européen, et les récents appels à projets réservent malgré tout de belles perspectives. Mais la rapidité d’avancement peine à répondre à l’urgence climatique perçue localement.

Enjeux sociaux et inégalités d’accès à la mobilité cyclable

Le vélo, mode de transport “inclusif” ? La réalité diffère selon les profils :

  • Coût d’investissement : Un vélo neuf fiable pour un usage quotidien avec équipements de sécurité/franchissement du froid/franchissement de la neige revient vite à plus de 800€, sans assistance électrique et hors entretien. C’est un frein pointé par plusieurs associations de quartiers populaires à Annecy et en vallée de l’Arve (voir étude Mon Vélo pour Tous, 2022).
  • Publics vulnérables : Les enfants, seniors, personnes à mobilité réduite rencontrent davantage de difficultés à adopter le vélo quotidiennement là où pistes et sécurité font défaut.
  • Manque d’apprentissage : Sur le département, seuls 40% des élèves du primaire bénéficient d’une formation au savoir-rouler, contre plus de 80% dans certains territoires cyclables de l’Ouest (source : Fédération Française des Usagers de la Bicyclette). Apprendre à circuler à vélo, c’est aussi permettre demain des choix différents.

Équilibre entre justice sociale et justice environnementale : l’enjeu est de taille, pour que la “révolution cyclable” ne bénéficie pas qu’aux initiés déjà convaincus.

Des freins quotidiens… et des germes d’espoir

Dans ce paysage de contrastes, né des montagnes, de la neige et des vallées, le vélo en Haute-Savoie se fraye lentement sa route. À l’ombre des freins, grandissent déjà des mobilisations vivantes : collectifs de réparation (La Vélobricole à Annecy, Vél’Osons à Rumilly), associations de parents d’élèves en campagne pour des “vélobus”, entreprises qui proposent la location longue durée partagée. Le nombre de vélos en circulation dans le centre-ville d’Annecy a doublé entre 2018 et 2022 (source : Grand Annecy), preuve d’un appétit en devenir.

Les freins sont nombreux, parfois puissants. Mais oser en dresser la carte, c’est aussi ouvrir la voie à des réponses adaptées : aménagements ciblés, démarches solidaires, innovation sociale… pour qu’un jour, la transition à vélo ait toute sa place dans les paysages vivants du Semnoz à la vallée de l’Arve.

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